Keynes, grand connaisseur du genre humain et de psychologie, avait affirmé dans la dernière page de la Théorie Générale que les « théories nouvelles n’étaient accessibles qu’aux hommes de vingt cinq à trente ans ». Il s’ensuit que les idées qui soutiennent ces théories, vraies ou fausses, n’agissent qu’avec retard, après un certain délai, lorsque les tenants des idées anciennes qu’elles remplacent ont disparu. À l’inverse, « les idées que les fonctionnaires, les hommes politiques et même les agitateurs appliquent à la vie courante ont donc peu de chance d’être les plus neuves ». C’est ce que j’appelle ici, la loi keynésienne de résistance aux idées nouvelles.

C’est bien tout le problème, aujourd’hui encore. Alors que nombreux sont les praticiens qui en appellent désespérément à l’arrivée d’un nouveau Keynes capable de dépasser le savoir commun et de comprendre l’origine de la crise économique actuelle et de proposer les remèdes appropriés pour empêcher les désastres qui s’annoncent, il est quasiment certain, que malgré cet avertissement bien connu des économistes qui ont presque tous lu le maître de Cambridge, l’arrivée d’un nouveau Keynes serait, pour les économistes, les dirigeants, les banquiers centraux et les experts patentés, sciemment ignorée dans le meilleur des cas, mais ses idées plus certainement encore méprisées, dédaignées et rejetées.

C’est que, sauf exception rarissime d’esprits supérieurs, l’arrogance des clercs est sans limite, leur pouvoir personnel bien protégé et leur orgueil démesuré. Admettre une pensée nouvelle c’est reconnaître ipso facto que la pensée qui la précédait, et que l’on a probablement soi-même défendue, est dépassée et qu’il faut passer à autre chose. C’est en quelque sorte nier ses propres croyances sur lesquelles on a fondé son existence, son travail, ses publications et sa vie professionnelle.

Ainsi, dès 1960, date de la parution du premier ouvrage de Bernard Schmitt, La formation du pouvoir d’achat, seuls quelques jeunes économistes avisés et conscients, ont su, au fil du temps, adhérer à une pensée économique entièrement nouvelle, post-keynésienne, qui sera développée sans interruption pendant les 25 années suivantes par son auteur et qui sera l’objet de nombreuses publications d’une puissance d’analyse sans commune mesure avec les thèses couramment enseignées, néoclassiques ou néokeynésiennes.

Les étudiants de Bernard Schmitt, jeunes par définition, plus ouverts que les profs, ne s’y sont d’ailleurs pas trompé et ont reconnu de manière générale la supériorité incontestable de ses thèses sur celles de la pensée dominante.

Bernard Schmitt, bien qu’étant sans aucun doute le plus grand économiste du XXème siècle, et justice lui sera un jour rendue sur ce point, a été scandaleusement ignoré en son temps par ses pairs, subissant impitoyablement la loi de Keynes et naturellement leur ostracisme méprisant.

Pourtant, ancien étudiant de Cambridge, ayant eu pour maîtres Piero Sraffa, Joan Robinson et Sir Denis Robertson, il aurait eu les meilleures chances d’être reconnu s’il était resté sagement dans le rang, car il faisait partie de la famille keynésienne, sa formation ne pouvant pas être remise en cause, ni son intelligence hors du commun qui faisait de lui un des connaisseurs les plus pointus de la pensée du maître et de ses épigones.

Cependant, très tôt, Bernard Schmitt, en logicien d’exception, découvrit les limites de la théorie keynésienne, incomplète en dépit de ses géniales intuitions, car encore empreinte de néoclassicisme. Elle ignorait le circuit monétaire généré par la logique de l’économie de production dont il construisit la théorie. La théorie keynésienne est une théorie de l’enchaînement des revenus dans le temps, toujours conservés à l’identique, la dépense d’un revenu générant automatiquement un autre revenu ailleurs et ainsi de suite au fil du temps, alors que, selon Schmitt, le revenu monétaire naît au cours d’une opération unique, la rémunération des services producteurs, puis il est détruit lors de la dépense unique des services producteurs. Il s’ensuit notamment, mais il y a beaucoup d’autres conséquences, que la théorie du multiplicateur d’investissement, le pont aux ânes des économistes d’après guerre, est sans aucun fondement. Le multiplicateur ne saurait dépasser le nombre 1 ; outrage suprême, iconoclastie rédhibitoire pour les keynésiens devenus sectaires, même si les mesures macroéconomiques avaient démontré, dans les pays à bonnes statistiques, que le multiplicateur était voisin de 1. Schmitt fut impitoyablement rejeté tout comme les étudiants et les chercheurs qui ont eu, quelque temps, l’audace de se prévaloir de sa pensée. À l’exception d’une petite école de fidèles disciples, beaucoup rentrèrent vite dans le rang pour poursuivre une carrière universitaire académique ou continuèrent leur vie professionnelle dans d’autres activités que l’enseignement ou la recherche.

Le temps a passé et contre toute la pensée dominante actuelle, dont l’échec aujourd’hui est patent, j’ai poursuivi et développé sans relâche les travaux de Bernard Schmitt en me fondant sur sa théorie du circuit, celle de l’intégration de la monnaie, et sa théorie économique quantique autrement plus performante que les tristes fables néoclassique et néokeynésienne totalement obsolètes et promises à une mort scientifique prochaine.

Le résultat de mes travaux est désormais publié dans Produit, monnaie et capital qui expose l’enchaînement logique des événements macroéconomiques qui ont conduit le monde à la crise actuelle et qui indique les moyens à mettre en œuvre pour s’extirper des désordres inouïs dans lesquels les économistes de la pensée dominante nous ont précipités.

Bien entendu, la loi de Keynes continuera de s’appliquer à Pierre Gueneau comme elle s’est appliquée, sa vie durant, à Bernard Schmitt. Les clercs bien en cours, dans l’impossibilité de la combattre au niveau de sa logique interne inattaquable, n’auront que mépris et ignorance.

Seulement, cette fois, le monde est plongé dans une crise d’une telle gravité que les économistes patentés ne disposent plus d’aucun moyen pour ruser plus longtemps encore contre les faits et prolonger l’agonie du monde qu’ils ont contribué à détruire par leur ignorance.

Viendra donc le temps, avec les troubles politiques et sociaux qui vont apparaître, où le rejet de la pensée dominante déconsidérée sera tel que les chances d’écoute d’une autre pensée autrement plus sérieuse et performante seront plus grandes.

Or, cette pensée est prête depuis déjà un demi-siècle. Je l’ai seulement complétée et actualisée notamment dans le domaine de la déflation qui est devenue plus visible que jamais.

En application de la loi de Keynes, la nouvelle théorie est d’abord destinée aux générations nouvelles, aux meilleurs d’entre eux, hommes et femmes dotés d’une intelligence aiguë et exigeante, en capacité de la comprendre avant d’y adhérer avec sincérité puis de la défendre avec conviction pour en appliquer les préceptes. Jeunes économistes, étudiez-là sans attendre, minutieusement et avec persévérance pour bien vous en pénétrer. Souvenez-vous que rien n’est jamais acquis sans effort. La nouvelle théorie va bientôt vous servir.

Un peu de patience, les tenants de la pensée dominante vont bientôt disparaître, victimes de leur échec et l’Histoire oubliera jusqu’à leur nom.

Vous serez alors prêts pour construire un monde nouveau où le chômage involontaire n’existera plus et où les peuples pourront vivre apaisés dans une économie ordonnée en croissance harmonieuse. Vous disposez d’ores et déjà de tous les moyens.

Pierre Gueneau,

30 janvier 2012